Du carbone au bois, « la transgression* »…

* : au sens étymologique de la progression, du latin transgressio (« marche à travers, au-delà »)

Pour situer rapidement les choses, après environ 8 années de loyaux (et parfois bons) services, voici une grosse semaine que j’ai remplacé mon trépied Manfrotto 055 ProB et ma rotule 488 RC2 du même constructeur contre un trépied Berlebach et une rotule de type pendulaire (sur laquelle je reviendrai bientôt) de marque Dietmar Nill (du nom du photographe qui lui donna naissance). Un changement qui s’inscrit dans une très (trop) longue réflexion, rendu incontournable par l’acquisition toute récente d’un Sigma 500mm d’occasion reçu lui Jeudi dernier. Le 300mm f/4 à qui il succède reste en ma possession, si excellent que je ne souhaitais – dans la mesure du possible – pas m’en séparer, mais pour un usage qui en souffrira forcément.

De diffusion restreinte par rapport aux rotules Wimberley (ou « equivalentes »), la rotule Dietmar Nill dira peut-être quelque chose aux plus techniciens d’entre vous. Il est en revanche probable que la plupart d’entre-vous entendent ici parler de la marque de trépieds Berlebach pour la première fois. Et si la Dietmar Nill, en aluminium, se veut résolument moderne, Berlebach ancre sa réputation depuis la fin du 19ème siècle dans la fabrication de trépieds traditionnels en bois,… qui ne boudent pour autant pas certaines innovations techniques. Ces deux produits sont par ailleurs fabriqués en Allemagne et sont garantis 5ans pour la rotule, et 10ans pour le trépied.

Berlebach Report 102 & Dietmar Nill, ici avec un D7000 + Sigma 500mm
Sur les deux premières images, vous pouvez observer le trépied en extension maximale avec la rotule en mode pendulaire : la molette de blocage du mouvement vertical est desserrée, la base panoramique est desserrée, et la molette de frein est ajustée pour conserver la position voulue quel que soit l’angle !
Le troisième image montre le trépied avec les jambes dans un angle de 80° (qui est l’avant dernière position, la dernière offrant un angle de 100° qui permet donc de poser le trépied à plat y compris sur un sol inégal).

Le bois, à l’ère du carbone et de l’aluminium, dans une utilisation clé de la photographie animalière, voilà bien un élément inattendu dans la besace d’un photographe nature. Voici le comment, et le pourquoi de ce choix quelque peu marginal. 😉

I. Prémices

J’aime le bois. C’est un argument évidemment trop léger pour se suffire à lui-même, mais lorsque l’idée de remplacer mon trépied en aluminium a commencé à germer, il y a 3 ou 4 ans, mon cursus scientifique et personnel fit que j’ai d’emblée placé le bois en pôle position des matériaux à considérer dans un trépied afin d’amortir les vibrations durant la prise de vue.
En effet, lorsque je me suis intéressé à l’astronomie, je me suis aperçu que les meilleurs télescopes étaient fournis avec un trépied en bois. Ça n’a pas changé et quiconque a jeté son œil une fois dans un oculaire à fort grossissement d’une lunette ou d’un télescope comprendra ce que je veux dire : la résolution des problèmes vibratoires est au cœur de ce qui différencie une observation confortable d’une observation pénible, voire impossible. Poussant le raisonnement dans une autre direction, adolescent, je me suis demandé pourquoi les crosses des carabines de tir olympique étaient en bois, un matériau que je jugeais lourd quand il devait y avoir tellement de matériaux plus légers : une fois encore, la réponse était dans la gestion des vibrations que permet ce matériau. Plus loin encore, enfin, de ma pré-adolescence au bord des cours d’eau à courir la truite, je me suis souvenu de cette canne en bambou que j’ai finalement préférée à son homologue en carbone car je la trouvais plus fine et douce dans ses réactions, et que tout simplement, je trouvais que cela augmentait mon plaisir à pêcher !
Mais attention, n’y voyez aucune fausse nostalgie, mais au contraire l’envie d’aller au bout des choses et de cerner ce qui véritablement apporte un progrès, jugé d’un regard critique qui va au delà de ce qui semble communément admis : une histoire, mon histoire, qui nous ramène définitivement à la transgression du titre de cet article.

a) La quête commence

Nous sommes en 2008 – 2009. Désormais convaincu d’être sur la bonne piste, je me suis donc mis à rechercher un trépied en bois. Sans doute assez mal à l’époque car je n’ai rien trouvé de pertinent, et comme les fora francophones n’abondaient vraiment pas dans le sens du bois – si ce n’étaient ceux relatifs à la photographie de studio – je laissais peu à peu tomber mes espérances pour me résigner, peut-être, à adopter, un jour !, le choix du plus grand nombre, le carbone !

Sans polémique, cela ne prend pas beaucoup de temps et de recherches pour comprendre que le consensus dans le haut de gamme photographique en carbone s’établit rapidement autour d’une marque, Gitzo. Et que si d’autres marques coexistent (reviennent principalement dans les débats Benro et Feisol) au côté de ce géant, il semble que ce soit au bénéfice du prix, mais au détriment de la qualité finale et/ou de la durabilité : même si l’on trouve des utilisateurs heureux de ces marques, on en trouve aussi assez facilement de très insatisfaits. Je ne trancherai pas la question de savoir qui a tort ou raison ici, mais j’avais fini moi-même par m’orienter vers un Gitzo Systematic, après avoir pourtant sérieusement considéré des alternatives plus abordables financièrement, dont la plus sérieuse (et à mon avis au moins équivalente) est représenté par la marque Dutch Hill et son modèle P900 : dont le seul défaut est un encombrement important qui le rendait incompatible à mes besoins en montagne.

Néanmoins, au delà de qualités reconnues, le carbone amenait aussi son lot d’inconvénients.

1. En cas d’orages, il deviendrait un excellent paratonnerre… « qualité » qu’il partage avec l’aluminium et qui a souvent limité le choix de mes sorties
2. En terme de conception, l’ex-chimiste que je suis sait que les colles qui servent à enchâsser les pattes du trépieds dans leur logement sont des points de fragilité sur le long terme qui peuvent poser problèmes dont les fora ne manquent pas, même s’ils semblent plus rares chez Gitzo
3. Marcher par accident sur un tube en carbone sonne souvent son glas
4. L’utilisation en milieux sableux/boueux nécessite un démontage nettoyage des sections avant de les replier pour en assurer la pérenité
5. Le SAV de la marque n’a pas une excellente réputation

Le choix avait donc beau être à priori le meilleur, il ne me contentait pas. Et s’il serait illusoire de vouloir trouver un trépied parfait, j’avais réuni le budget – stratosphérique -nécessaire, mais j’avais tout simplement la désagréable impression de me tromper, de faire fausse route… ce qui chez moi n’est jamais le signe d’un achat imminent quel que soit par ailleurs son bien fondé – que je n’avais pas ici ! Ce besoin est donc logiquement rentré en sommeil durant 2ans.

b) Le déclic

… et c’est finalement un test publié par Leica mettant en scène un protocole avec un Leica R8 et une focale de 1700mm (!) qui a remis le bois en selle de deux façons. La première était qu’à l’issue de ce test le bois sortait vainqueur face à des modèles adverses équivalents en aluminium, ou  (surtout pour ce qui m’intéressait) en carbone. La seconde en me faisant découvrir une marque que je n’avais pas su trouver moi-même via mes recherches antérieures, Berlebach.

Le test en question est un pdf : Comparatif de différents trépieds face aux vibrations

Pour les anglophobes, la déviation aux différentes contraintes est mise en évidence avec trépied en position haute, mais colonne centrale non déployée, en prenant une photo à 6.5m, à 1700mm, en pose de 15s, d’un papier millimétré sur lequel pointe un laser fixé sur le dispositif. De gauche à droite pour chaque trépied, on trouve le résultat pour : des pressions multiples sur le déclencheur (simule une pose longue sans déclencheur souple), un pendule en giration au bout de l’optique (simule la prise au vent) et sac de plaques métalliques de 2kg qui tombe d’une hauteur de 20cm près d’un des pieds (simule une vibration inattendue).
Et l’essentiel du reste est je pense compréhensible avec ces seules informations.

Suite à la lecture de ce test, fort de la découverte de cette nouvelle marque, j’ai repris mes recherches sérieusement, et s’ils sont rares, j’ai tout de même fini par trouver quelques utilisateurs heureux, et d’autres marques parmi lesquelles Wolf (un clone allemand de Berlebach créé par… un ancien membre de Berlebach), Stabil (une marque suédoise), Ries (une marque anglaise).

Petit à petit, le bois revenait donc sur le podium de mes alternatives, mais ce ne fut finalement que 3 ans plus tard que j’ai finalement franchi le pas !

II. L’importance du support

Au risque de bousculer un peu certaines idées reçues, hors problèmes mécaniques évidents, ce n’est la plupart du temps pas la qualité optique d’un objectif vis à vis de celle d’un autre « équivalent », et/ou les qualités d’un appareil photo qui décideront de la qualité finale d’une image. Disposer du meilleur couple possible en la matière sera bien entendu parfois déterminant, mais uniquement dans des conditions exceptionnellement difficiles (pour ne pas dire affreuses), et dans des proportions infimes par rapport à un couple moins performant (mais pas médiocre pour autant). Autant dire donc que ces deux éléments devraient être considérés comme les derniers à remettre en cause lorsque vous décidez d’améliorer vos images… sauf défaut(s) latent(s).

Tout ce qui gravite autour du boîtier et de l’objectif possède en revanche une incidence énorme dans la réussite ou non d’une image. En premier lieu bien évidemment, le talent, l’imagination, et la technique du photographe, mais d’un point de vue purement matériel, tous les éléments qui permettront la mise en oeuvre de ces qualités initiales sans les entraver. Et au premier rang de ces éléments, on trouve assez rapidement en bonne position, la rotule, et le trépied.
Je ne vais pas me lancer ici dans un classement de valeurs entre tous ces éléments qui constituent la chaîne de l’image, mais pour résumer ma pensée en quelques mots simples, cela pourrait se traduire ainsi :
« Devant une belle image, l’amateur demande avec quel appareil elle a été prise, l’expert demande avec quelle optique l’image fut crée, et le plus éclairé s’interroge sur les conditions qui ont permis la prise de vue. »

On arrive ainsi tout doucement à la conclusion qu’avant de faire progresser optique et/ou appareil, il est plus sage d’améliorer la qualité des éléments qui permettront à ces deux éléments de s’exprimer pleinement. Quid en effet d’une excellente optique et de l’image résultante si votre ensemble trépied rotule n’assure pas un support fiable ? Est-il raisonnable de s’en remettre à la chance quand on a par ailleurs dépensé énormément pour s’assurer une belle qualité d’images ?
Non, évidemment, et il sera presque toujours plus judicieux en cas de budget serré de sacrifier un peu de qualité optique pour disposer d’un ensemble trépied/rotule adapté qui permettra d’obtenir le plein potentiel de votre appareil et de son optique (quelles que soient leurs qualités de base).

C’est pourtant l’inverse qui se produit presque toujours. Le budget défini, on mise souvent tout sur une optique, ou un couple boîtier-objectif (en favorisant évidemment le boîtier : erreur !), puis avec ce qui reste, s’il reste quelque chose (!) on essaie de trouver un couple trépied rotule correct (ou pas). Puis on change car ça ne va pas, pour finalement après plusieurs années finir par consentir à payer ce trépied et cette rotule si cher que l’on s’était juré de ne jamais mettre autant dans ces éléments !
Les économies que l’on pensait ainsi réaliser sur deux éléments que l’on avait jugé à tort secondaires se transforment rapidement en une escalade financière qui aurait pu être évitée.

Si je n’ai donc qu’un seul conseil à donner à quiconque souhaite s’encombrer d’un trépied, et d’une rotule : car après tout, ce n’est pas obligatoire suivant le type d’images que vous faites : commencez par définir le support idéal à votre matériel présent ou futur (si ce futur n’est pas trop loin !), ce qui en cas de téléobjectif peut conduire à une facture assez salée, puis seulement faites progresser vos optiques, et votre appareil… et à mon avis dans cet ordre.

III. Les avantages d’un trépied en bois

L’amortissement des vibrations est le principal avantage du bois et, plus particulièrement, le bois de frêne est utilisé depuis très longtemps dans ce but. Peu noueux, ce qui engendre moins de fragilité, et disposant de longues fibres bien droites, il est par ses propriétés naturelles l’un des bois les plus adaptés mécaniquement à cet usage. Crosses de carabines sportives, trépieds d’astro-observations, pieds photos de studio, les applications du bois sont nombreuses et variées, mais toutes utilisent préférentiellement à tout autre le bois de frêne.

Parmi les autres avantages que je trouve aux trépieds en bois, je citerai :

1) Une conception sans collage par ajustage et vissage qui n’entraîne aucune fragilité cachée et qui ne prévienne avant d’un problème
2) La foudre n’est plus à craindre (au moins à cause de la matière)
3) Contrairement à ce que l’on pourrait penser, la résistance aux éléments (eau, boue, etc…) est supérieure à celle du carbone
4) Le contact avec les mains restera agréable de l’hiver à l’été
5) Le bois est moins fragile aux chocs que le carbone
6) Un trépied en bois peut se réparer facilement en cas de casse, y compris par soi même si tant est que l’on sache/puisse travailler la matière
7) Le prix d’un Berlebach dans la gamme Report représente 1/3 à 1/4 de celui d’un Gitzo

Concernant ce dernier point, je précise qu’il ne s’agit pas d’un critère qui a déterminé mon choix, mais qui ne nuit néanmoins pas !

IV. Les inconvénients d’un trépied en bois

À ce jour, et ce n’est pas faute d’avoir cherché, je n’en vois qu’un : je n’hésiterai toutefois pas à compléter cette section dans le futur, le cas échéant.

En dépit des efforts de la marque pour alléger sa gamme, en adoptant récemment le magnésium en lieu et place de l’acier dans la conception de la platine du trépied, à taille équivalente, les trépieds Berlebach sont encore quelques centaines de grammes plus lourds que leurs homologues en carbone auxquels je les compare pour mes besoins : Gitzo série 3.

Mais si l’on considère qu’ils se situent probablement plutôt au niveau des Gitzo série 5 en terme d’efficacité, le match nul est déclaré, quand l’avantage financier est clairement à l’avantage du bois.

V. La gamme Berlebach, et le modèle que j’ai choisi

Le lien constructeur : Trépieds en bois Berlebach (en anglais)

Elle se décline en trois gammes : Uni, report, Mini ; et est garantie 10ans, ce qui est bien mieux que ce que l’on voit habituellement.

Uni :  Gamme sans concession de poids (4 à 5kg et plus) qui se destine principalement au studio ou au support d’instruments d’astronomie avec des charges admissibles autour de 50kg (!). Je déconseille évidemment cette gamme en photographie de nature… mais si je n’avais pas à transporter mon trépied sur de longue distance : disons quelques centaines de mètres tout au plus ; et que j’avais le besoin d’un trépied solide pour de l’affût et une optique très lourde (6kg ou plus), je pourrais me laisser tenter par leur modèle « Bagyi édition » conçu par un photographe animalier : 5kg quand même ! ; mais qui permettrait de ne pas à avoir à se soucier de cette tourelle, inébranlable une fois ancrée dans le sol sur ses pointes !!

Report : Une gamme définitivement photographique qui démarre à 2kg (soit le poids d’un Gitzo Systematic série 3) et va jusque 3kg environ. Toute la gamme est apte à porter de lourdes optiques car le poids supporté indiqué est une charge de travail admissible et pas un poids théorique comme chez les autres marques : comprendre donc qu’un trépied référencé 18kg, par exemple, peut réellement supporter 18kg.

Mini : Comme son nom l’indique il s’agit d’une gamme pour travailler au niveau du sol, ou sur table. Gamme à mon avis très intéressante pour le travail macro-photographique*, on trouve sur le net des utilisateurs qui utilisent ces trépieds avec des rails de mise au point (manuels ou électriques) et utilisant des rapports de grossissements extrêmes avec des résultats bluffants : le trépied ne sera clairement pas le maillon faible dans un tel usage s’il devait y en avoir un !

* : J’ajoute que pour cet usage, Stabil propose également un trépied macro très… intéressant !

J’ai pour ma part opté pour un Berlebach Report 102, en version camo (payant) et vis 3/4 (gratuit).
Issu de la nouvelle gamme utilisant du magnésium au lieu de l’acier qui a permis de gagner 200g (l’ancienne gamme reste disponible en alternative un peu plus abordable), il s’agit d’un modèle court qui répond parfaitement à l’usage que j’ai d’un trépied en photo nature, essentiellement au ras du sol. Modèle le plus léger de la gamme, c’est aussi le modèle le plus stable (18kg de charge), critère que j’ai donc décidé de favoriser (pour l’usage animalier et macro) au détriment de l’extension maximale, qui pourrait être utile en paysage notamment.Vous verrez néanmoins plus loin que ce compromis n’est pas si grand qu’il ne paraît grâce au choix de rotule effectué avec la Dietmar Nill, qui avec un viseur d’angle une fois le trépied déplié me permet de viser environ à hauteur de poitrine alors que je mesure 1m85. S’agissant de plus dans mon cas d’un usage qui est, et devrait à priori rester, marginal, ce choix du modèle le plus court s’est fait assez naturellement, et sans regret même après quelques jours d’essai sur le terrain.

Disposant des mêmes qualités globales (taille +/- quelques cm, poids admissible), j’ai quelques temps hésité avec le modèle 132, qui dispose d’une boule de mise à niveau intégrée mais pèse 400g de plus, ainsi qu’avec le modèle 162, qui dispose lui d’un réceptacle pour un bol de 75mm qui permettrait là aussi une mise à niveau simplifiée pour un poids final supérieur là aussi de environ 400g (une fois la base de mise à niveau installée).
Avec une tête de type pendulaire, la possibilité de mettre un trépied à niveau rapidement est une qualité pratique, si pas indispensable, confortable. Si j’ai finalement décidé de m’en passer (pour le moment), c’est que d’une part cela me permettait de partir sur un modèle plus léger, et que d’autre part, la nouvelle gamme report permet par le jeu de module optionnel de passer d’un modèle à l’autre très simplement, ce qui rend le choix moins définitif. Il est bien évidemment en cas de besoin possible aussi d’avoir recours à une marque tierce pour la base de mise à niveau.

Un retour en arrière est donc possible, ce qui m’a fait opter pour le 102 plutôt que de me punir dès le départ de plus de poids pas nécessairement utile, et puis je le répète : on peut tout à fait utiliser une rotule pendulaire sans cet accessoire : en animalier, les téléobjectifs disposent d’un collier de pied qui permet de compenser la ligne d’horizon, et en paysage (car la Dietmar Nill a cette capacité d’être utilisable avec autre chose que de gros téléobjectifs, ou même de fixer deux boîtiers : je reviendrai bientôt sur cette rotule), il suffit de prendre plus de temps pour déployer le trépied convenablement grâce à la bulle de mise à niveau intégrée (il y en a une sur la rotule aussi) !

VI. Berlebach Report 102

a) Commande et présentation à chaud

(J’ai rédigé ce passage peu de temps après la réception de mon colis)

La commande sur le site de la marque s’est bien passée quoique fut un peu effrayante pour l’angoissé que je suis. Suite à ma validation de commande sur le site Berlebach, et la confirmation automatique de la prise en charge immédiate de ma commande, silence radio. Aucun message pour prévenir de l’envoi, et pas de suivi, donc, mais puisque ma commande est arrivée 4 jours plus tard, un Jeudi (commande le WE), on peut considérer qu’elle a été traitée dès Lundi. Le service d’envoi est réactif donc, mais il pourrait y avoir du mieux concernant la communication… j’ai d’ailleurs attendu longtemps une réponse à un email, mais le préposé à l’anglais était absent. Il est cependant à noter que j’ai re-testé le service ensuite et que la réponse cette fois-ci n’a pas tardé : soit ! 

Un carton dans un carton plus tard, j’extraie donc la bête en bois dans sa finition camo*, et le contact me plaît tout de suite beaucoup : mais comme j’aime le bois, mon avis est biaisé. Un rapide tour d’inspection me confirme que tout est OK. J’apprécie les belles finitions, et la robustesse que l’ensemble dégage. Du haut niveau, tout est bien pensé, bien réalisé, pas de souci !

* : Je ne suis pas un grand fan des camouflages, j’en ai déjà fait part, mais c’est parmi leurs couleurs celle qui me semblait la plus adéquate en terme de discrétion. Le fait est qu’il est superbe, et réellement efficace, le motif disparaissant en un gris assez naturel de vieux bois à grande distance : ce qui est parfait.

Pour replacer les esprits, le Report 102 est un modèle à platine simple, comme sur un Gitzo Systematic pour ceux qui souhaiteraient un repère connu :

Le voici en détail sur le site de la marque

La platine :

C’est une nouveauté vis à vis de l’ancienne série, la platine est désormais amovible par dévissage d’une couronne interne : en cas de dévissage accidentel, la platine prendra donc du jeu, puis plus de jeu, puis beaucoup de jeu, avant d’éventuellement lâcher prise, ce qui ‘est un excellent gage de sécurité pour ce qui se trouve fixé dessus.
Ce système amovible donne accès à 10 modules optionnels interchangeables au sein de la gamme (inclus la platine simple, 8 sont disponibles à ce jour à l’achat).

Il devient alors possible de changer de modèle sans avoir à acheter un autre trépied (dans les limites de la taille des pattes choisie à l’achat). Dans mon cas, acheter une base avec rotule intégrée reviendrait donc à convertir le 102 en 132. Et avec un bol 75mm j’obtiens un Report 162.
Toutes les conversions sont possibles et donnent ainsi accès également aux colonnes, avec ou sans base panoramique, avec ou sans rotule ball intégrée.

C’est de mon point de vue une évolution bienvenue, et bien intégrée grâce à un système de fixation aussi ingénieux que simple, qui a de plus le bonheur d’éviter toutes possibilités d’erreurs de montage, et/ou tous les risques intempestifs de perte accidentelle de la platine (ce qui s’est déjà vu ailleurs) !

Les Jambes :

Le déplacement angulaire est ferme, fluide, et jamais raide.
C’est une nouveauté par rapport aux anciennes séries (un peu moins cher et toujours disponibles), on peut désormais caler les jambes sur 5 angles différents : 20, 40, 60, 80 et 100° ; ce qui est vraiment très bien (pour peaufiner la mise à niveau, par exemple avec une pendulaire) quand les autres marques n’en proposent généralement que 3. Le système de calage est très ingénieux puisqu’il suffit de pousser une palette avec le pouce pendant que l’on actionne la jambe à l’angle voulu (je ferai des images), de lâcher, ça se cale, et ça ne bouge plus. C’est une bonne surprise et ça m’a semblé plus pratique que les systèmes Manfrotto, Gitzo, ou autres, mais c’est encore à confirmer sur le terrain.

Sur parquet, le plastique qui termine le pied agrippe suffisamment pour caler le trépied de manière à priori sûre, mais comme ce ne sera pas mon usage, je passe. Ces embouts se repoussent facilement par vissage pour laisser apparaître des pointes.

Enfin, l’extension des jambes est assurée par une seule molette (il peut y en avoir deux sur d’autres références), et ça me semble à priori plus rapide à mettre en œuvre que je ne le pensais. Mais sur la version camo, il n’y a pas de repères de hauteur sur les jambes : je l’ignorais en commandant, mais comme ça ne me semblait pas important pour un usage sur des sols qui ne seront jamais égaux je viens seulement de le remarquer, après avoir revérifié !

b) Mon retour de terrain

Excellent à ce jour.

Il est tout d’abord d’une rigidité absolue, qui se confond fortement en terme d’efficacité à ce que l’on obtient sur bean-bag. En terme d’images, avec la Dietmar Nill, ils forment un duo que j’estime excellent, tant et si bien que je ne vois en fait pas trop ce qui pourrait être amélioré, à part ma propre technique qui est désormais la seule à faire défaut lorsqu’une image est floue : et je me dois d’ajouter, bien que j’y reviendrai en parlant de la rotule, que la Dietmar limite essentiellement les photos floues en basses vitesses aux sujets qui se déplacent, aux erreurs d’autofocus, ou en vitesse lente aux images effectuées avec un mauvais suivi du sujet (faute qui m’incombe donc).

Si une image est floue, désormais, soit cela vient de moi, soit cela vient de l’autofocus qui aura accroché une mauvaise cible (ce qui revient à dire que c’est aussi ma faute) : cela limite les excuses, mais c’est bien le but et ça me va très bien !

En terme de réglage, je reste là aussi sur ma première impression lors du déballage.

Le déploiement angulaire des jambes est d’une efficace simplicité. J’ai tellement eu l’habitude de me battre avec la raideur des jambes de mon Manfrotto (et c’est toujours vrai 8ans après… à part pour une jambe devenue « folle ») que je trouve le Berlebach d’une douceur absolue. La sélection des angles est efficace, et en changer est simple, même allongé sur le sol dans une position inconfortable : les jambes ne nécessitent que peu d’effort pour être repositionnées, tout en étant suffisamment raide pour – après quelques heures de pratique – transporter l’ensemble « trépied – tête – boîtier+500mm » sur l’épaule sans que la jambe saisie ne se referme intempestivement lorsque l’on balance le tout sur l’épaule !

Le déploiement en hauteur est lui aussi très simple et étonnamment rapide : comme je pensais faire une grosse concession là dessus, c’est une très bonne surprise, et comme il n’y a qu’une seule molette par jambe, je trouve ce système bien plus pratique que le système à sardines de chez Manfrotto (qu’il fallait prendre garde de ne pas faire claquer lorsque manipulé à proximité de la faune sauvage).

Un point où je m’attendais à souffrir était celui du portage sur l’épaule lorsque monté d’un boîtier et d’un objectif de plus de 3kg : ce qui tout compris représente un poids total d’un peu plus de 7kg. Eh bien lors de ma première sortie avec le 500mm Vendredi, j’ai volontairement fait de la billebaude pour tester ce point particulier et n’ai ressenti aucune souffrance. L’angle le plus fermé du trépied permet en fait de faire poser deux pattes du trépied sur l’épaule, ce qui répartit mieux la charge pour un confort assez proche de ce que j’obtenais avec mon Manfrotto et le 300/4 avec pourtant près de 2kg de moins, mais dont seulement une jambe reposait sur l’épaule quand la deuxième se calait quelque part sur l’omoplate. La différence de poids est pourtant bien là et se fait sentir lors des déséquilibres, ou dans les montées, mais en terme de confort sur l’épaule (ou d’inconfort), c’est finalement comparable et mon épaule n’a pas senti la différence, ce qui a été une vraie surprise : mes jambes en revanche n’ont pas le même avis, mais elles s’y feront !

Enfin, je ne l’avais pas vu avant de faire des images complémentaires aujourd’hui, mais il est possible de repositionner les pointes à 45° sur les jambes plutôt que de les laisser dans le prolongement des jambes. C’était un défaut que je m’apprêtais à souligner… mais puisque c’est possible, c’est parfait !

VII. Conclusion

Vous l’aurez compris je suis très impressionné par ce trépied qui, avec la Dietmar Nill, forme un duo qui semble couvrir mes besoins des courtes aux longues focales !
Non seulement il a répondu à ce que j’attendais de lui, mais à l’usage, je m’aperçois qu’il répond également présent sur des points où je pensais avoir fait des compromis. Je suis assez maniaque et je n’aime pas tellement livrer un compte rendu aussi idyllique, mais le fait est que pour le moment je ne lui trouve pas vraiment de défauts, même s »il n’est pas parfait : je pesterai sans doute le jour où un paysage sera impossible à réaliser sans quelques centimètres supplémentaires de hauteur ! J’en raterai probablement certains autres lorsque je devrai régler le niveau avec les seules jambes du trépied alors que j’aurais pu le faire en quelques secondes avec une base de mise à niveau : ce point là au moins est négociable par la suite ! Mais pour l’heure, je dois surtout dire que j’ai pris énormément de plaisir à découvrir ce matériel sur le terrain, ce bien que le temps ne m’ait pas aidé du tout !

Je reviendrai sur la Dietmar Nill d’ici quelques jours, dans une présentation moins… longue ! 🙂

Pour l’heure, c’est surtout au 500mm que je dois m’habituer tant il bouleverse mes habitudes sur le terrain. Reçu Jeudi, je n’ai pu faire qu’une sortie en sa compagnie Vendredi, miraculeusement presque sec, et comme je n’ai rien pour protéger cette focale de la pluie, c’était essentiel, mais surtout bien bien pourri en terme de lumière : la matinée dans le brouillard, et le reste de la journée dans la grisaille !
Quelques clichés néanmoins pour jouer le jeu de la découverte jusqu’au bout. S’ils ne remporteront aucun prix, ils m’ont permis de voir le potentiel de mon nouveau trio dans une lumière affreuse : et ainsi de juger l’efficacité de mon nouveau support à basse vitesse. La chevrette est issue d’une série faite dans un petit brouillard en sous bois avant le lever du soleil (1/50, f/4.5 et 2000iso), et l’oiseau (rousserolle des buissons juvénile ?) au 1/200, f/4.5 et 1250iso avec un rattrapage des ombres du fait du contre jour sous les arbres. Le potentiel est là, nul doute qu’il y a moyen de faire bien mieux dès que la lumière sera plus clémente

Bien entendu, si vous aviez la moindre question, ou besoin d’un complément d’information, vous pouvez me contacter par email 😉

Avant la pluie, histoire de chat

Chat Forestier, Felis Silvestris Silvestris

Cache cache dans les herbes

S’il est de notoriété presque publique que les chats domestiques n’aiment pas se mouiller (certaines races font exceptions), il est moins évident pour tout le monde d’imaginer que cette aversion pour l’eau s’étend aussi à son cousin sauvage, le chat forestier : après tout, celui-ci doit bien se nourrir pour survivre ! Non ?

La réponse se veut nuancée.
Oui, bien entendu, le chat sauvage doit se nourrir, mais non, il n’est pas forcément prêt à affronter la pleine pluie pour le faire s’il peut l’éviter ! Sa meilleure porte de sortie en l’occurrence lui est apportée par son biotope, car le chat sauvage, ou chat forestier comme son autre nom commun l’indique, est avant tout un prédateur des sous bois, qui ne consent donc à en sortir que lorsque les conditions sont optimales, le plus souvent ainsi, lorsque les herbes sont basses, qu’il n’y a pas ou peu de rosée, et de préférence, bien entendu, s’il fait beau !

Il est bien entendu d’autres variables (reproduction, quantité de proies, et certaines autres qui nous échappent), et le voir autrement est possible, mais moins probable. Mais de mes observations et diverses approches du chat, je retiens deux moments particulièrement favorables à leur observation lorsque leur zone de prospection a été établie.
Le premier se situe en plein cœur de l’hiver, lors du rut, où il se montre moins méfiant et daigne alors montrer sa royale présence dans les zones dégagées.
Et le second précède les averses mettant fin aux périodes d’ensoleillement.

En dehors de ces deux moments clés, de ma propre expérience, ils m’ont toujours semblé apparaître de manières presque aléatoires, présents quelques jours à quelques semaines lorsqu’ils chassent une zone de prospection, mais capables de disparaître des semaines, voire des mois, avant de réapparaître comme s’ils n’étaient jamais partis.

Pour moi, que je me place comme observateur ou photographe, cette part de mystère en fait un des sujets les plus intéressants à suivre parmi mes sujets habituels. Ceci ajouté aux sentiments qui me traversent quand je croise son regard m’emporte à chacune de nos rencontre aux portes de la fascination et de l’amour pour ce petit roi des forêts dont je me sens très proche, étant moi-même plutôt farouche !

Hier donc, je trouvais que les conditions étaient réunies pour aller rencontrer le chat. il avait fait beau toute la semaine, la pluie s’annonçait pour le lendemain, la rosée était modérée, et surtout, je l’avais photographié au même endroit quelques jours auparavant (article suivant, Lorsque l’instinct prend le pouvoir).

Arrivé bien avant que le soleil ne se lève, je laisse un renard s’éloigner – à peine visible dans mes jumelles – avant de traverser les seuls 20 mètres que je dois traverser à couvert pour rejoindre le petit bois et le lit de fougères dans lesquelles j’espères me cacher. Le renard parti, je progresse silencieusement en direction des fougères, mais quelque chose semble différent dans la pénombre, et je ne tarde pas à constater que les fougères ne sont plus, fauchées, de même que le regain ! Une lisière ne manque pas de cachettes, mais celle-ci était particulièrement agréable par temps chaud, je me rabats donc approximativement au même endroit, mais cette fois-ci assis et adossé à un platane, lequel me permettra de tendre mon filet devant moi. L’attente commence. Les premières lueurs du jour éclaircissent petit à petit l’horizon. Il sera bientôt là. S’il vient !

Le jour est seulement levé mais je commence à m’inquiéter.
D’une part le goupil n’est pas revenu, ce qui m’indique que le champ en bout de celui-ci a également été fauché (ce qui s’avérera vrai par la suite) : et si le chat était là bas lui aussi ? S’agissant d’un nouveau sujet, je ne peux en être certain, néanmoins, avec ces prédateurs, la meilleure stratégie est de ne pas bouger, d’autant que fauchés, ces champs pourtant vallonnés ne permettent pas une approche confortable car leurs reliefs engendrent des retours de vent. J’attends donc, lorsque je crois apercevoir un mouvement furtif sur ma gauche au sommet d’une butte. C’est la seule direction qui ne m’offre pas une vue dégagée, et je pense que mon chat, ou le renard vu plus tôt, est sur le plateau. Deux oreilles dans le champ de mes jumelles me le confirment un peu plus tard, il chasse là haut, et d’où je suis, je ne le verrai que lorsqu’il redescendra en forêt. Je dois bouger !

J’entreprends alors une lente reptation vers le sommet de cette buttée… seulement une trentaine de mètres d’effort, mais qui doivent être franchis avec la plus grande précaution tant les oreilles adverses sont aiguisées !
Mètre après mètre, mon horizon s’étend, mais rien ne m’attend au sommet : où est-il ?
Je ne bouge plus, je ne respire même plus.
Dans les bottes ! Il est là bas, je le vois à peine, tournant autour des bottes que le propriétaire du champ a rassemblé, une légère dépression le cache quasiment à ma vue, mais je ne peux pas monter plus si je souhaite rester dissimuler à la sienne au bénéfice du relief.

J’attends depuis une petite dizaine de minutes lorsque je sens mon chat perdre de sa motivation. La nuit, à la faveur de parcelles dégagées éclairées d’une lune presque pleine a dû être riche en bouchées nourricières, et la chaleur déjà élevée invite à la sieste plus qu’aux efforts.

Il va s’éclipser lentement, j’en suis convaincu, et je n’ai pas encore fini de le penser lorsque pour me donner raison je le vois suivre la dépression en direction de la forêt. Je n’ai que peu de temps pour me préparer, mais je glisse imperceptiblement sur ma droite en direction de cette coulée,  juste à la tangente qui ne me laissera ensuite que ses arrières à photographier ! Pourvu qu’il la suive jusqu’au bout car il disparaît à ma vue…
Ces quelques secondes de disparition me semblent très longues, mais il ressort effectivement où je l’espérais.

Chat Forestier, Felis Silvestris Silvestris

Sortie du couloir

Las, c’est ainsi que je le sens à ce moment là, il n’a que deux options, où ils bifurquent sur ma droite et continue sa séance jusqu’à me sentir car le vent ne me sera plus favorable, soit comme je l’espère car je ne souhaite pas être découvert il part sur sa gauche en quête de tranquillité digestive, et fort heureusement pour lui, et pour moi dans ma volonté de ne pas lui nuire, il était effectivement repus…

Alors qu’il repart, il ne fera que deux stations, avec le potentiel espoir pour moi qu’il reste finalement encore un peu. Cela n’arrivera pas !
Ces deux dernières images sont cependant intéressantes car elles montrent à quel point le chat forestier peut se montrer prudent lorsqu’il quitte la scène ; une prudence qui n’a d’égale que la paranoïa qui précède toujours son entrée ! Ces deux images sont fortement recadrées, et ont été effectuées après avoir rampé en contrebas en m’aidant du relief pour me dissimuler.

Les pluies à venir devraient le tenir éloigné quelques temps des espaces dégagés, tout comme les renards, mais je sais qu’il finiront par revenir quand je m’y attendrai le moins, c’est là une partie de leur magie !

Lorsque l’instinct prend le pouvoir

Chat Forestier, Felis silvestris silvestris

Soleil levant

Après un solide petit déjeuner, lorsque j’avale mon dénivelé matinal, sans que j’ai à l’y inviter mon esprit navigue parmi les perspectives photographiques de la journée. Je n’ai pas pleinement conscience du processus de réflexion qui se met alors en place car une partie de mon esprit est occupé à ma bonne progression dans l’obscurité à travers bois : éviter cette souche, me baisser sous cette branche, positionner mes pas correctement en traversant cet éboulis rocheux, contrôler mon effort, etc… ; et il apparaît parfois que le plan initial, souvent dessiné la veille puis affiné lors du petit déjeuner pendant que je digère les prévisions météos, entre en conflit avec les résultats de cette introspection distraite, mais reflétant exactement mes réelles envies du moment.

Ce Samedi matin était de ceux-là. Je gravissais mon dénivelé quotidien lorsqu’un chat forestier imaginaire chassa progressivement l’Hermine avec laquelle j’avais théoriquement pris rendez-vous.

Au jeu des vents contraires que je me dois de respecter dans cette discipline, il ne faut pas croire que ces fulgurances l’emportent toujours. Au détriment des envies viscérales, la photographie animalière est avant tout une école de la discipline où l’improvisation doit parfois, souvent, s’effacer devant les paramètres d’approche ! Toujours est-il que ce matin là, aux environs de 5h, pas très bien réveillé encore, mon état d’inconscience me souffla cette douce perspective selon laquelle les conditions étaient à peu près idéales pour qu’une rencontre avec les yeux d’émeraudes puisse aboutir.
Les conditions semblaient parfaites, mais, et ce n’était pas rien, cela faisait plusieurs mois du fait des dérangements forestiers que je n’avais plus vu de chats sauvages, et que je m’étais donc un peu éloigné de leurs zones de chasse ! Les travaux suspendus depuis 3 mois, seraient-ils de retour ? Aujourd’hui ? Alors même que mes observations quelques semaines auparavant s’étaient soldées d’autant d’échecs ?

Préparé ou pas, je connais ces terrains pour les avoir parcourus à la recherche de chats ou de renards, et je me suis finalement retrouvé à finir ma course en sous bois rampant sous un couvert de fougères qui ouvrait sur un champs qui repoussait en regain, presque surpris d’être là, et pas vraiment convaincu par la pertinence de ma présence ici ! Mince alors, les renards se faisant de plus en plus rares dans ce secteur, si les chats ne sont pas là, je vais vraiment m’emm… !

Pourtant, quelques minutes plus tard, il était là, dans mes jumelles, à une cinquantaine de mètres, puissante et discrète petite silhouette à peine visible dont la ligne dorsale ondulait sans hâte au travers des graminées ! Oubliés, les noms d’oiseaux desquels je m’insultais quelques minutes plus tôt, même s’il ne s’approchait pas plus, cette journée serait tout de même déjà une réussite par les perspectives qu’elle venait de m’offrir pour les jours à venir. Disparu, désormais retrouvé, les retrouvailles avec ce petit félin me vrillaient les tripes d’une joie immense.

Alors qu’il serpente dans les herbes, je perds plusieurs fois sa trace au travers de mes jumelles et c’est en véritable feu follet qu’il disparaît puis reparaît, imprévisiblement, mais de plus en plus proche. Je m’aperçois alors qu’il s’agit d’un mâle que je n’ai pas encore vu ici, et je m’inquiète un peu de ce qu’est devenu celui que j’attendais.
Le soleil est déjà levé, il a fini depuis quelques minutes d’escalader la colline qui me fait face, et je dois désormais faire attention aux moindres reflets quand le matou me tire de ma torpeur à mesure qu’il s’approche à distance photographique. Tout de même surpris et intrigué par mon premier déclenchement en guise de « test de personnalité », il ne s’intéressera pas aux suivants. Nouveau chat, plutôt zen en plus, je ne boude pas ma chance !

C’est après une pause assez longue à surveiller un mulot qui jamais ne sortira, qu’il se met à longer un talus en contrebas, dans ma direction, mais rarement dans des conditions qui me permettront de le photographier confortablement. Tantôt c’est une herbe qui affole l’autofocus de mon appareil, tantôt ce sont des herbes qui dissimulent matou à ma vue. Dans ces conditions, la mise au point est le plus souvent faite à la main, et parfois au petit bonheur la chance tant minet ne me laisse pas beaucoup de temps pour agir entre deux apparitions, le temps que je le retrouve dans cette jungle !!!

Il disparaît soudain à cause d’un talus…

Ne sachant pas trop où il se trouve, je ne bouge pas de ma position de peur de la révéler, et j’ai simplement espéré qu’il réapparaisse à nouveau à distance acceptable. Le ciel entre temps s’est voilé, et il se passera finalement 45 minutes avant que je ne l’aperçoive de nouveau, fort loin !

Chat Forestier, Felis Silvestris Silvestris

Distance

Il siestera finalement, précisément à l’endroit de cette dernière photo, et ce n’est qu’après une toilette minutieuse et délicate, telle que savent les faire les chats, qu’il disparaîtra dans la lisière du fond.

Heureux en dépit de ma maigre récolte, je lui promets secrètement de revenir le voir et lui souhaite de bien se porter d’ici là…

Hase et hasard

Lièvre d'Europe (Lepus europaeus), hase

Quel est ce bruit ?

Lorsque je ne sors pas durant une longue période, mes retours à la nature sont toujours teintés d’un mélange d’excitation et d’appréhension. Excitation d’une part, car j’ai presque toujours un plan en tête élaboré pendant que je rongeais mon frein et que j’ai hâte de voir ce que cela va donner concrètement, appréhension enfin, car délaisser la nature ne serait-ce que quelques jours n’est jamais sans conséquence et qu’il est fréquent que certaines espèces modifient notablement leurs habitudes en peu de temps. Exception faite bien entendu des activités humaines, ce postulat gagne en vérité lorsqu’un épisode météorologique inhabituel se déclare et modifie alors temporairement les habitudes généralement observées.

De manière peut-être moins évidente que durant la période hivernale, les périodes estivales caniculaires sont par exemple pour la plupart des mammifères une importante source de stress. La plupart des espèces étant dans l’incapacité de transpirer afin d’abaisser leur température corporelle comme nous le faisons, moins efficacement lorsqu’elles en sont capables, leurs activités deviennent alors essentiellement nocturnes, quand le jour sera lui consacré à la quête d’une zone calme de repos sous couvert. Il est alors peu utile de préciser qu’un dérangement dans ces moments là, durant les pics de fortes chaleurs, peut se solder par une mise en danger des sujets, et hormis l’hiver, la période estivale est celle qui compte le plus de pertes parmi les sujets jeunes ou âgés, et fragilise également quelques sujets pourtant dans la force de l’âge. Un constat qui ne devrait pas vous surprendre puisqu’il s’étend tout aussi simplement à l’homme.

Cela faisait donc une quinzaine de jours que pour diverses raisons je n’avais pas pu sortir, et autant de jours durant lesquels les températures n’avaient cessé de tutoyer des sommets sans qu’une goutte d’eau ne vienne rafraîchir l’atmosphère. J’avais bien planifié un petit quelque chose pour ce retour dans la verte (pour le coup un peu roussie sous les assauts solaires), mais pour les raisons évoquées plus haut, j’allais finalement opter pour une reprise faite d’observations, et d’images si les sujets s’approchaient car je n’en ferais rien moi-même. En dépit d’un plan d’action très raisonnable, donc, ma joie n’était pas feinte lorsque j’ai commencé Lundi mon ascension vers mon plateau de jeux, celle qui tout simplement me faisait retrouver mes chemins de traverses et les quelques habitués qui les animent.

Une demi-heure et 450m de dénivelé plus tard, j’approche en sous bois aussi silencieusement que possible un premier spot potentiel afin de me placer sous un chêne, en lisière d’une vaste étendue de champs qui s’ouvrent en cuvette, offrant ainsi un horizon dégagé de ce qui pourrait s’y passer. Il est environ 5h30 dans une pénombre encore assez épaisse, et mon appareil dort toujours dans mon sac, quand un brocard s’approche au petit trot de moi, regard en alerte. Je ne suis qu’à quelques mètres du chêne, mais de toute évidence repéré, je n’ai que le temps de m’accroupir au milieu des ronces afin de ne laisser que mon buste apparent : ce qui avec un sac à dos donne une silhouette plutôt difficilement identifiable, et finalement un camouflage plus efficace qu’il n’y paraît. J’ai également une cagoule en filet sur la tête, et des manches longues.

A-t-il entendu craquer cette branchette sur laquelle je venais de marcher par inadvertance ? En période de rut, a-t-il aperçu un mouvement et m’a-t-il confondu avec un rival ?

Il reste planté là, à une dizaine de mètres de moi, scrutant dans ma direction. Mon cœur bat la chamade, il me voit, j’en suis certain, je souris pourtant comme un enfant de cette rencontre. Fier et puissant, ce brocard ne comprend pourtant plus la situation à laquelle il se trouve confronté. Il était venu obtenir un visuel, mais il ne comprend pas ce qu’il voit et ceci alimente son stress. Petit à petit, je le sens de moins en moins sûr de lui et désormais prêt à déguerpir. Je ne suis alors certain que de deux choses : il me voit mais ne m’a pas identifié, et il partira à coup sûr d’ici peu de temps car c’est ce que lui hurle son instinct de survie face à un mouvement qui soudain cesse – comportement d’immobilité que tout prédateur adopterait face à une proie qui l’observe de trop loin pour qu’il puisse l’attaquer à coup sûr. Je décide donc d’utiliser son indécision pour tenter de le calmer en lui parlant doucement et calmement. Cela peut paraître étrange, mais lorsque vous êtes cachés/dissimulés/camouflés et qu’un animal sait qu’il a vu quelque chose (ce chevreuil s’est dirigé droit sur moi, il me voit mais pourtant ne fuit pas, sa présence ne tient donc plus qu’à la curiosité que je représente parmi les éventualités d’un danger potentiel), le fait de ne plus bouger alimente son stress car il ne comprend pas l’énigme à laquelle il est confronté. Mais je ne peux néanmoins pas bouger sans qu’il n’identifie ma nature humaine. Qu’il s’agisse d’un sujet curieux ou farouche, vous obtiendrez alors toujours la même réponse, à savoir, une fuite éperdue lorsque son stress aura débordé sa curiosité. Ce que son instinct de survie ne tardera pas à provoquer.
Parler doucement (disposer d’une voie grave doit aider), à contrario, lui permet de comprendre partiellement la situation, ce qui est moins stressant pour lui. À savoir ici qu’il a bel et bien vu quelque chose qui est toujours là, qu’il ne sait pas ce que c’est, mais que ce quelque chose fait du bruit et n’est donc probablement pas dangereux.
Ne vous attendez pourtant pas à le voir se désintéresser de vous à un stade aussi avancé de stress, mais aussi surprenant que ce soit, l’effet sera dans la très grande majorité des cas un contournement simple du « problème » et un minimum de stress à la clé. C’est ce que je souhaitais, et c’est précisément ce que fit ce brocard en rentrant en sous bois une dizaine de mètres seulement en contrebas de moi après m’avoir contourné sans jamais bondir (ni quitter des yeux) pendant que je continuais de lui parler doucement : arrêter de parler une fois que le stratagème a fonctionné serait une grossière erreur et raviverait immédiatement une crainte qui entraînerait une fuite immédiate… et aboyante : « Bah ! Bahbahbah bah baaaaaaah !… ».

Est-ce à 100% efficace ? Non. Et ça ne marche pas avec toutes les espèces, mais plutôt très bien avec les cervidés.

Puisque je l’avais en visuel une fois celui-ci en sous bois, je l’ai laissé s’éloigner avant de reprendre mon ascension : ce qui lui aura pris tout de même 5 bonnes minutes , et autant pour moi de monologue car il sera resté un moment derrière un buisson à regarder dans ma direction, avant de partir finalement, tranquillement.

Ma récompense ne tarda pas puisque 100m plus loin (!), j’ai pu observer les dernières minutes de chasse d’un renard que je n’aurais pu voir si le chevreuil avait aboyé : les renards étant très attentifs aux alertes des autres usagers des lieux ! Toujours pas d’images puisqu’il n’a pas pris la voie que je pensais qu’il prendrait pour retourner en sous bois avant que le soleil n’écrase la place… mais observer simplement et dans de bonnes conditions un renard dans ma région est une joie qui commence hélas à se fait de plus en plus rare et que je ne boude pas !

Mon goupil parti, j’engage alors une course avec le soleil levant afin de rejoindre le haut du plateau avant qu’il ne perce à travers les derniers remparts forestiers. Une colline toute proche m’aidera dans ma tâche, et c’est tout à ma hâte teintée de grande prudence que j’aperçois quelques mètres devant moi dans le regain un lièvre qui se révélera être une hase, en train de se sustenter en bordure d’un champ de céréales. Comme je pense fortement qu’il va emprunter ma voie pour retourner vers son gîte que je soupçonne se dissimuler dans l’une des multiples friches non loin de là formées durant la tempête 99, je décide de m’enfiler dans le bosquet de fougères sur ma droite, pour attendre que ce lièvre ne s’approche éventuellement de lui-même. Éventuellement, car il peut tout aussi bien partir en restant dans le regain, ou en se glissant dans les céréales !

Un premier bond dans la bonne direction, la mienne !, me conforte dans mon hypothèse. Le soleil ne tardera plus, et avec lui la fournaise qui émergera ne me laissera bientôt plus d’autres sujets à photographier. Ma chance est là, devant moi, je l’attends.

Cacher derrière une motte, je ne le vois plus, mais il va se rapprocher, j’en suis sûr. Le soleil nage désormais sur les plus hautes cimes, et mon lièvre se décide à se réfugier sous couvert avant de cuire… Tout va très vite, j’aurais espérer qu’il se rapproche lentement pour l’habituer au bruit de déclenchement, mais je n’en aurai pas le temps. Une photo au trot, et le voilà qui stoppe, intrigué. Quelques autres et il se redresse, c’est alors que je m’aperçois que « il » est une hase et qu’elle est en train de porter… une dernière, et je la laisse filer. Et cela sonnera la fin de ma journée photographique, puisque la lumière dure qui a suivi ne pas vraiment permis de glisser vers la macro tel que je le prévoyais… d’autant que cette dernière quinzaine a tout grillé et que les survivants sont rares : il n’y a pas que les mammifères et les photographes qui souffrent de la chaleur !

D’or et d’aurore

zygène de la spirée, zygaena filipendula

Ô temps, suspends ton (en)vol

Cette année, les insectes foisonnent dans les friches, et cela contraste avec l’année précédente qui a été d’une pauvreté jamais observée en terme micro-faunistique, que ce soit par moi, ou par d’autres si l’on suit  l’écho des fora. Après une année « sans », les populations restent bien entendu (très) fragiles, et il faudra encore quelques années « de mieux » pour qu’elles retrouvent leur abondance passée… mais j’accueille pour ma part ce regain de forme avec un sourire tant l’année dernière m’avait alarmée par bien des points. Comme il m’est toutefois encore impossible de dire si cette observation est un phénomène local ou s’il peut être généralisé, recevez donc ce cri de joie, et du cœur, avec quelques précautions qui ne pourront être levées que si cette amélioration se voulait globale afin de perdurer. Cette profusion m’a en tout cas inspiré un petit travail en macro.

À propos, la macro et moi, c’est un peu comme une longue histoire d’amour complexe, une suite d’attirances et de répulsions qui rythment ma pratique ainsi, tour à tour, prolifique ou désertique. J’ai fait de la macro bien avant de me lancer dans la photo de mammifères, et je ne cerne pas toujours très bien ce qui entrave parfois ce type d’images chez moi, mais j’accueille toujours avec joie les phases où je puis à nouveau mettre en images cette vie qui n’a de micro que le nom puisque de sa bonne santé dépendent bien souvent tous les échelons d’un biotope.

Pas d’enjeux aussi importants que l’équilibre d’un biotope dans ma contribution du jour, toutefois, qui se veut bien plus légère et s’intéressera plus à la mise en esthétisme de deux espèces estivales plutôt faciles à rencontrer dans nos contrées, plutôt qu’aux mécanismes qui régissent leur santé.

Ce petit extrait fait écho à l’article : Dans les friches,… ou presque ! ; et met en scène Zygènes de la filipendule et Demi-deuils dans les lumières de l’aurore. À défaut de rosée du fait de précipitations absentes ces dernières semaines, j’ai travaillé avec un objectif macro de 150mm, à contre jour pour essayer de retranscrire au mieux les ambiances dorées et saturées propre à l’aurore, avant que la lumière ne durcisse trop, ce qui ne laisse hélas qu’une maigre fenêtre de travail en ce moment.

Les papillons Demi-deuils étant les plus prompts à se mettre en mouvement, en particulier lorsque les conditions sont sèches, c’est en leur compagnie que j’ai commencé ma séance, même si je ne suis pas parvenu à trouver un fond à ma convenance lors de cette séance du fait d’un faible nombre de sujets : ils étaient pourtant nombreux à papillonner lorsque l’air s’est réchauffé, à moi donc de mieux les débusquer !

C’était ensuite au tour des Zygènes de la filipendule d’attirer mon objectif. Ils ont l’avantage d’être assez calmes, et la stabilité de leur vol me laisse même quelques espoirs d’en saisir en vol, quoique je bute pour le moment sur l’esthétisme de la composition, ne travaillant pas avec un piège photographique !