Lorsque l’instinct prend le pouvoir

Chat Forestier, Felis silvestris silvestris

Soleil levant

Après un solide petit déjeuner, lorsque j’avale mon dénivelé matinal, sans que j’ai à l’y inviter mon esprit navigue parmi les perspectives photographiques de la journée. Je n’ai pas pleinement conscience du processus de réflexion qui se met alors en place car une partie de mon esprit est occupé à ma bonne progression dans l’obscurité à travers bois : éviter cette souche, me baisser sous cette branche, positionner mes pas correctement en traversant cet éboulis rocheux, contrôler mon effort, etc… ; et il apparaît parfois que le plan initial, souvent dessiné la veille puis affiné lors du petit déjeuner pendant que je digère les prévisions météos, entre en conflit avec les résultats de cette introspection distraite, mais reflétant exactement mes réelles envies du moment.

Ce Samedi matin était de ceux-là. Je gravissais mon dénivelé quotidien lorsqu’un chat forestier imaginaire chassa progressivement l’Hermine avec laquelle j’avais théoriquement pris rendez-vous.

Au jeu des vents contraires que je me dois de respecter dans cette discipline, il ne faut pas croire que ces fulgurances l’emportent toujours. Au détriment des envies viscérales, la photographie animalière est avant tout une école de la discipline où l’improvisation doit parfois, souvent, s’effacer devant les paramètres d’approche ! Toujours est-il que ce matin là, aux environs de 5h, pas très bien réveillé encore, mon état d’inconscience me souffla cette douce perspective selon laquelle les conditions étaient à peu près idéales pour qu’une rencontre avec les yeux d’émeraudes puisse aboutir.
Les conditions semblaient parfaites, mais, et ce n’était pas rien, cela faisait plusieurs mois du fait des dérangements forestiers que je n’avais plus vu de chats sauvages, et que je m’étais donc un peu éloigné de leurs zones de chasse ! Les travaux suspendus depuis 3 mois, seraient-ils de retour ? Aujourd’hui ? Alors même que mes observations quelques semaines auparavant s’étaient soldées d’autant d’échecs ?

Préparé ou pas, je connais ces terrains pour les avoir parcourus à la recherche de chats ou de renards, et je me suis finalement retrouvé à finir ma course en sous bois rampant sous un couvert de fougères qui ouvrait sur un champs qui repoussait en regain, presque surpris d’être là, et pas vraiment convaincu par la pertinence de ma présence ici ! Mince alors, les renards se faisant de plus en plus rares dans ce secteur, si les chats ne sont pas là, je vais vraiment m’emm… !

Pourtant, quelques minutes plus tard, il était là, dans mes jumelles, à une cinquantaine de mètres, puissante et discrète petite silhouette à peine visible dont la ligne dorsale ondulait sans hâte au travers des graminées ! Oubliés, les noms d’oiseaux desquels je m’insultais quelques minutes plus tôt, même s’il ne s’approchait pas plus, cette journée serait tout de même déjà une réussite par les perspectives qu’elle venait de m’offrir pour les jours à venir. Disparu, désormais retrouvé, les retrouvailles avec ce petit félin me vrillaient les tripes d’une joie immense.

Alors qu’il serpente dans les herbes, je perds plusieurs fois sa trace au travers de mes jumelles et c’est en véritable feu follet qu’il disparaît puis reparaît, imprévisiblement, mais de plus en plus proche. Je m’aperçois alors qu’il s’agit d’un mâle que je n’ai pas encore vu ici, et je m’inquiète un peu de ce qu’est devenu celui que j’attendais.
Le soleil est déjà levé, il a fini depuis quelques minutes d’escalader la colline qui me fait face, et je dois désormais faire attention aux moindres reflets quand le matou me tire de ma torpeur à mesure qu’il s’approche à distance photographique. Tout de même surpris et intrigué par mon premier déclenchement en guise de « test de personnalité », il ne s’intéressera pas aux suivants. Nouveau chat, plutôt zen en plus, je ne boude pas ma chance !

C’est après une pause assez longue à surveiller un mulot qui jamais ne sortira, qu’il se met à longer un talus en contrebas, dans ma direction, mais rarement dans des conditions qui me permettront de le photographier confortablement. Tantôt c’est une herbe qui affole l’autofocus de mon appareil, tantôt ce sont des herbes qui dissimulent matou à ma vue. Dans ces conditions, la mise au point est le plus souvent faite à la main, et parfois au petit bonheur la chance tant minet ne me laisse pas beaucoup de temps pour agir entre deux apparitions, le temps que je le retrouve dans cette jungle !!!

Il disparaît soudain à cause d’un talus…

Ne sachant pas trop où il se trouve, je ne bouge pas de ma position de peur de la révéler, et j’ai simplement espéré qu’il réapparaisse à nouveau à distance acceptable. Le ciel entre temps s’est voilé, et il se passera finalement 45 minutes avant que je ne l’aperçoive de nouveau, fort loin !

Chat Forestier, Felis Silvestris Silvestris

Distance

Il siestera finalement, précisément à l’endroit de cette dernière photo, et ce n’est qu’après une toilette minutieuse et délicate, telle que savent les faire les chats, qu’il disparaîtra dans la lisière du fond.

Heureux en dépit de ma maigre récolte, je lui promets secrètement de revenir le voir et lui souhaite de bien se porter d’ici là…