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2013Hase et hasard
Lorsque je ne sors pas durant une longue période, mes retours à la nature sont toujours teintés d’un mélange d’excitation et d’appréhension. Excitation d’une part, car j’ai presque toujours un plan en tête élaboré pendant que je rongeais mon frein et que j’ai hâte de voir ce que cela va donner concrètement, appréhension enfin, car délaisser la nature ne serait-ce que quelques jours n’est jamais sans conséquence et qu’il est fréquent que certaines espèces modifient notablement leurs habitudes en peu de temps. Exception faite bien entendu des activités humaines, ce postulat gagne en vérité lorsqu’un épisode météorologique inhabituel se déclare et modifie alors temporairement les habitudes généralement observées.
De manière peut-être moins évidente que durant la période hivernale, les périodes estivales caniculaires sont par exemple pour la plupart des mammifères une importante source de stress. La plupart des espèces étant dans l’incapacité de transpirer afin d’abaisser leur température corporelle comme nous le faisons, moins efficacement lorsqu’elles en sont capables, leurs activités deviennent alors essentiellement nocturnes, quand le jour sera lui consacré à la quête d’une zone calme de repos sous couvert. Il est alors peu utile de préciser qu’un dérangement dans ces moments là, durant les pics de fortes chaleurs, peut se solder par une mise en danger des sujets, et hormis l’hiver, la période estivale est celle qui compte le plus de pertes parmi les sujets jeunes ou âgés, et fragilise également quelques sujets pourtant dans la force de l’âge. Un constat qui ne devrait pas vous surprendre puisqu’il s’étend tout aussi simplement à l’homme.
Cela faisait donc une quinzaine de jours que pour diverses raisons je n’avais pas pu sortir, et autant de jours durant lesquels les températures n’avaient cessé de tutoyer des sommets sans qu’une goutte d’eau ne vienne rafraîchir l’atmosphère. J’avais bien planifié un petit quelque chose pour ce retour dans la verte (pour le coup un peu roussie sous les assauts solaires), mais pour les raisons évoquées plus haut, j’allais finalement opter pour une reprise faite d’observations, et d’images si les sujets s’approchaient car je n’en ferais rien moi-même. En dépit d’un plan d’action très raisonnable, donc, ma joie n’était pas feinte lorsque j’ai commencé Lundi mon ascension vers mon plateau de jeux, celle qui tout simplement me faisait retrouver mes chemins de traverses et les quelques habitués qui les animent.
Une demi-heure et 450m de dénivelé plus tard, j’approche en sous bois aussi silencieusement que possible un premier spot potentiel afin de me placer sous un chêne, en lisière d’une vaste étendue de champs qui s’ouvrent en cuvette, offrant ainsi un horizon dégagé de ce qui pourrait s’y passer. Il est environ 5h30 dans une pénombre encore assez épaisse, et mon appareil dort toujours dans mon sac, quand un brocard s’approche au petit trot de moi, regard en alerte. Je ne suis qu’à quelques mètres du chêne, mais de toute évidence repéré, je n’ai que le temps de m’accroupir au milieu des ronces afin de ne laisser que mon buste apparent : ce qui avec un sac à dos donne une silhouette plutôt difficilement identifiable, et finalement un camouflage plus efficace qu’il n’y paraît. J’ai également une cagoule en filet sur la tête, et des manches longues.
A-t-il entendu craquer cette branchette sur laquelle je venais de marcher par inadvertance ? En période de rut, a-t-il aperçu un mouvement et m’a-t-il confondu avec un rival ?
Il reste planté là, à une dizaine de mètres de moi, scrutant dans ma direction. Mon cœur bat la chamade, il me voit, j’en suis certain, je souris pourtant comme un enfant de cette rencontre. Fier et puissant, ce brocard ne comprend pourtant plus la situation à laquelle il se trouve confronté. Il était venu obtenir un visuel, mais il ne comprend pas ce qu’il voit et ceci alimente son stress. Petit à petit, je le sens de moins en moins sûr de lui et désormais prêt à déguerpir. Je ne suis alors certain que de deux choses : il me voit mais ne m’a pas identifié, et il partira à coup sûr d’ici peu de temps car c’est ce que lui hurle son instinct de survie face à un mouvement qui soudain cesse – comportement d’immobilité que tout prédateur adopterait face à une proie qui l’observe de trop loin pour qu’il puisse l’attaquer à coup sûr. Je décide donc d’utiliser son indécision pour tenter de le calmer en lui parlant doucement et calmement. Cela peut paraître étrange, mais lorsque vous êtes cachés/dissimulés/camouflés et qu’un animal sait qu’il a vu quelque chose (ce chevreuil s’est dirigé droit sur moi, il me voit mais pourtant ne fuit pas, sa présence ne tient donc plus qu’à la curiosité que je représente parmi les éventualités d’un danger potentiel), le fait de ne plus bouger alimente son stress car il ne comprend pas l’énigme à laquelle il est confronté. Mais je ne peux néanmoins pas bouger sans qu’il n’identifie ma nature humaine. Qu’il s’agisse d’un sujet curieux ou farouche, vous obtiendrez alors toujours la même réponse, à savoir, une fuite éperdue lorsque son stress aura débordé sa curiosité. Ce que son instinct de survie ne tardera pas à provoquer.
Parler doucement (disposer d’une voie grave doit aider), à contrario, lui permet de comprendre partiellement la situation, ce qui est moins stressant pour lui. À savoir ici qu’il a bel et bien vu quelque chose qui est toujours là, qu’il ne sait pas ce que c’est, mais que ce quelque chose fait du bruit et n’est donc probablement pas dangereux.
Ne vous attendez pourtant pas à le voir se désintéresser de vous à un stade aussi avancé de stress, mais aussi surprenant que ce soit, l’effet sera dans la très grande majorité des cas un contournement simple du « problème » et un minimum de stress à la clé. C’est ce que je souhaitais, et c’est précisément ce que fit ce brocard en rentrant en sous bois une dizaine de mètres seulement en contrebas de moi après m’avoir contourné sans jamais bondir (ni quitter des yeux) pendant que je continuais de lui parler doucement : arrêter de parler une fois que le stratagème a fonctionné serait une grossière erreur et raviverait immédiatement une crainte qui entraînerait une fuite immédiate… et aboyante : « Bah ! Bahbahbah bah baaaaaaah !… ».
Est-ce à 100% efficace ? Non. Et ça ne marche pas avec toutes les espèces, mais plutôt très bien avec les cervidés.
Puisque je l’avais en visuel une fois celui-ci en sous bois, je l’ai laissé s’éloigner avant de reprendre mon ascension : ce qui lui aura pris tout de même 5 bonnes minutes , et autant pour moi de monologue car il sera resté un moment derrière un buisson à regarder dans ma direction, avant de partir finalement, tranquillement.
Ma récompense ne tarda pas puisque 100m plus loin (!), j’ai pu observer les dernières minutes de chasse d’un renard que je n’aurais pu voir si le chevreuil avait aboyé : les renards étant très attentifs aux alertes des autres usagers des lieux ! Toujours pas d’images puisqu’il n’a pas pris la voie que je pensais qu’il prendrait pour retourner en sous bois avant que le soleil n’écrase la place… mais observer simplement et dans de bonnes conditions un renard dans ma région est une joie qui commence hélas à se fait de plus en plus rare et que je ne boude pas !
Mon goupil parti, j’engage alors une course avec le soleil levant afin de rejoindre le haut du plateau avant qu’il ne perce à travers les derniers remparts forestiers. Une colline toute proche m’aidera dans ma tâche, et c’est tout à ma hâte teintée de grande prudence que j’aperçois quelques mètres devant moi dans le regain un lièvre qui se révélera être une hase, en train de se sustenter en bordure d’un champ de céréales. Comme je pense fortement qu’il va emprunter ma voie pour retourner vers son gîte que je soupçonne se dissimuler dans l’une des multiples friches non loin de là formées durant la tempête 99, je décide de m’enfiler dans le bosquet de fougères sur ma droite, pour attendre que ce lièvre ne s’approche éventuellement de lui-même. Éventuellement, car il peut tout aussi bien partir en restant dans le regain, ou en se glissant dans les céréales !
Un premier bond dans la bonne direction, la mienne !, me conforte dans mon hypothèse. Le soleil ne tardera plus, et avec lui la fournaise qui émergera ne me laissera bientôt plus d’autres sujets à photographier. Ma chance est là, devant moi, je l’attends.
Cacher derrière une motte, je ne le vois plus, mais il va se rapprocher, j’en suis sûr. Le soleil nage désormais sur les plus hautes cimes, et mon lièvre se décide à se réfugier sous couvert avant de cuire… Tout va très vite, j’aurais espérer qu’il se rapproche lentement pour l’habituer au bruit de déclenchement, mais je n’en aurai pas le temps. Une photo au trot, et le voilà qui stoppe, intrigué. Quelques autres et il se redresse, c’est alors que je m’aperçois que « il » est une hase et qu’elle est en train de porter… une dernière, et je la laisse filer. Et cela sonnera la fin de ma journée photographique, puisque la lumière dure qui a suivi ne pas vraiment permis de glisser vers la macro tel que je le prévoyais… d’autant que cette dernière quinzaine a tout grillé et que les survivants sont rares : il n’y a pas que les mammifères et les photographes qui souffrent de la chaleur !
Pherdienne
Une leçon de psychologie animalière bienvenue qui traduit une attitude de photgraphe pas si commune: celle d’un homme attentif à respecter ce qu’il voit plutôt que de l’utiliser à n’importe quel prix.
Merci !
RvB
Bonjour Colette,
C’est moi qui te remercie pour ce touchant commentaire.
J’ai été observateur de la nature bien avant de prendre des images, et me considère d’ailleurs toujours plus comme un observateur que comme un photographe, l’image n’étant pour moi finalement que l’aboutissement d’une observation réussie. Même si ça ne se passe pas toujours idéalement, je le confesse.
Amitiés !