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2013Une sortie nature se prépare ! Ou pas (trop)…
La nature s’aborde probablement d’autant de façon qu’il y a d’individus, et la préparation d’une sortie nature, qu’elle soit photographique ou dédiée à l’observation de la faune, ne fait pas figure d’exception. Certains pratiquent la nature chaque jour et en acquièrent ainsi finalement sans même en avoir conscience une connaissance quasiment instinctive, d’autres l’apprennent dans des livres avant de l’aborder « vraiment ». Éventuellement ! Entre les deux, une infinité d’approches différentes mais parfois concordantes mélangent plus ou moins ces deux extrêmes. Je ne pense donc pas qu’il y ait de vérité absolue, ou plutôt qu’en la matière celle-ci s’adapte à l’individu suivant son envie, ses capacités, et de la même manière qu’il n’est pas donné à tout le monde d’en avoir une connaissance intime et instinctive, il n’est pas universel de pouvoir la connaître en théorie pour s’adapter en pratique.
De cette diversité d’êtres naît celle qui précède l’immersion dans celle que j’aime appeler « la verte inconnue », et à défaut d’universalité, je vais donc partager dans cette rubrique l’idée, mon idée, sans cesse en évolution, et pourquoi pas inspirante, que je me suis faite au fil des années de l’approche de la nature en général. Dans ce premier billet, en particulier, ma manière de préparer une sortie. Il y aura évidemment dans cette série d’articles une dimension propre à la photographie, mais l’expérience des uns peut servir celle des autres, et je crois qu’il y aura dans cette rubrique suffisamment de pistes pour contenter la plupart, du promeneur occasionnel en quête de maximiser ses rencontres avec la faune, ou d’autres biotopes, aux observateurs, et bien entendu aux photographes. Je me considère moi-même comme un observateur avant d’être un photographe, dans la mesure où l’image n’est pour moi que l’aboutissement d’observations bien menées, toujours avec cette dimension personnelle qui voudrait minimiser les dérangements éventuels.
Je le dois sans doute à ma formation scientifique, mais lors de mes débuts photographiques j’avais tendance à « sur-préparer » mes sorties. Je ne sortais ainsi jamais sans avoir tout vérifier, de la météo à la préparation théorique d’un sujet. Comme j’ai commencé la photographie tardivement durant ma formation doctorale, cela m’a peut-être permis de maximiser mes sorties en rapportant plus d’images ciblées sur un sujet précis, ce n’est même pas certain, mais surtout, lorsque j’ai eu plus de temps à consacrer à la photographie, j’ai trouvé toute cette quête bibliographie précédant la prise de vue handicapante pour la dimension créatrice que je recherchais. Suite à quoi je me suis mis à sortir sans rien préparer, pour un succès très aléatoire qui ne me convenait pas vraiment non plus !…
Finalement, comme souvent lorsque deux théories s’affrontent, la vérité me concernant se situait entre ces deux positions opposées, et il m’a fallu ainsi apprendre à canaliser ma fibre scientifique, autant que celle créatrice qui souhaitait émerger. Un chemin long et tortueux qui n’a pas été sans mal, mais qui, située à « mi-chemin », me fait dire que j’ai trouvé une formule qui me convient assez, et qui évolue encore désormais sans à coup.
I. Préparation pour des environnements connus
Aujourd’hui, j’ai la chance de connaître assez bien et de longue date la plupart des biotopes que je parcours. Ma phase préparatoire est donc réduite au strict minimum, à savoir disposer de mon matériel prêt à partir en permanence, et jeter un regard distrait sur la météo avant le départ, pas pour savoir le temps qu’il fera mais pour disposer d’une idée sur les vents dominants qui souffleront ce jour là, et savoir suivant les saisons où je me rendrai d’après les notes dont je dispose. Mais ce n’est jamais qu’un ou plusieurs fils rouges, rien de graver dans le marbre, et j’aime me laisser le droit de changer d’idée(s) à mesure que la journée progresse : ça n’a pas toujours été le cas !
Suivant le but de votre sortie, vous serez donc à même de déterminer le matériel dont vous aurez besoin, de la simple paire de jumelles au sac photo dûment garni, et tout ce qui peut se trouver entre les deux suivant que vos sorties soient faunistique, botanique, ou encore minéralogique. Mais de ce qui précède, si vous ne le faites déjà, vous trouverez toutefois peut-être profitable de vous munir aussi d’un moyen pour prendre des notes de terrain (ou des dessins, etc… suivant vos affinités). À défaut, d’une mémoire absolument infaillible. Mais je crois tout de même préférable de jouer des deux afin de laisser à la seconde le droit de flancher ! Partir avec de quoi boire et vous sustenter est également préférable, indispensable, même pour une sortie de quelques heures, ainsi que disposer de quoi vous protéger des éléments météorologiques, y compris pour une « toute petite sortie ».
Au delà de ces quelques règles de bon sens, je doute que vous ayez jamais besoin d’autres « grandes préparations » pour aborder des environnements que vous connaissez déjà ! Et le travail se situera même de plus en plus, à mesure que vous les connaîtrez mieux, en aval de ces sorties, afin de trouver le nom de cette petite fleur, ou de cet insecte, que vous n’aviez jamais vus auparavant, ou dont votre mémoire infaillible a finalement laissé filer le nom : ce qui vous incitera ainsi peut-être tôt ou tard à la prise de notes dont je vous parlais plus haut… même partielles, car la verte inconnue démarre parfois (toujours !) dès votre porte franchie, et la nature que vous pensiez connaître n’aura jamais de cesse de vous surprendre. Que ce soit au détour d’un arbre jamais encore contourné, ou aux abords d’un sentier que vous n’aviez jamais vraiment regardé, elle fourmille de mystères, et c’est pour en percer quelques uns que vous aimez probablement la parcourir, ne serait-ce que distraitement.
Jusque là, je suis resté dans le cadre général d’environnements connus, et vous n’avez donc probablement pas appris grand chose. Mais qu’en est-il des sorties en environnements inconnus, comment les aborder ?
II. Évoluer en milieux inconnus
Personnellement, j’adopte pour ce faire deux approches très différentes… même si la seconde finit toujours par rejoindre la première, en aval.
La première consiste littéralement à partir à l’aventure d’une zone non encore explorée : par soi s’entend, mais rien ne vous empêche d’imaginer que vous êtes un pionnier ! Ce faisant, je pars plutôt, à l’aventure donc, à partir de la fin de matinée. Généralement après avoir démarré la journée sur une zone que je connais bien et située à proximité. La fin de matinée est un choix qui n’est pas anodin et se veut être un moment assez idéal pour ne pas nuire aux activités de la faune qui s’y trouverait : ça ne signifie pas que vous ne débusquerez pas un animal siestant, mais au moins ne le sera-t-il pas (ou moins) à un moment de la journée où habituellement il se nourrit, ce qui peut s’avérer particulièrement préjudiciable juste avant et pendant l’hiver.
De là mes petits rituels sont presque immuables, entre observations préliminaires aux jumelles afin de vérifier que la place est libre, relevés des traces, analyses des reliefs alimentaires, prises de notes, et prises de vue macro ou animalière à l’approche, lorsque les conditions et les rencontres le permettent. À chacun d’adopter ici une méthodologie qui lui soit propre en la matière, je ne dresse que très succinctement la mienne : elle se précisera à l’avenir dans cette même rubrique ; mais cela peut éventuellement vous servir de canevas. À ce stade de la découverte, mon but n’est pas d’aller dans la précision, cela viendra plus tard. Mais de disposer d’une base tout de même suffisamment fiable pour me permettre de déterminer rapidement le potentiel de ces lieux et, dans le cas où ils se révèlent intéressants, d’avoir une première idée des endroits qui seraient intéressants pour une observation aux jumelles en début ou en fin de journée, puis, enfin, une fois l’emploi du temps des espèces des lieux établi (ainsi que sur le papier ou tout autre support), à la prise de vue proprement dite. Une immersion lente, donc, qui me permet généralement de bien m’imprégner des lieux pour en déterminer les possibilités graphiques. Plutôt contemplatif, c’est une méthode de travail qui me sied bien.
La seconde méthode est plus cartésienne, probablement moins drôle aussi, mais une fois la phase initiale dépassée, rejoint la première dans ses grandes lignes. Elle consiste à explorer des cartes, non pas papier, mais de vues satellites de Google Maps, et/ou Geoportail afin de déterminer des lieux isolés, ou non, mais qui pourraient se montrer intéressants d’un point de vue faunistique. Je favorise souvent lors de ces explorations virtuelles des endroits où plusieurs biotopes se rencontrent, et j’y adjoins lorsque c’est possible des ressources de l’INPN (Institut National du Patrimoine Naturel), ce qui me permet éventuellement de déceler rapidement dans une zone les intérêts biologiques divers qui s’y trouveraient. Ce dernier point est un travail de fourmi, mais je l’ai intégré de plus en plus lors de mes recherches de nouveaux lieux potentiels, et cet ensemble de données, en plus de leur efficience, me permet ainsi de déterminer s’il est nécessaire ou non d’obtenir des autorisations s’il s’agit de domaines privés, ou suivant le niveau de protection en place.
Je n’aime pas tellement (et même pas du tout) l’idée d’une nature qui appartient à quelques uns au nom de la science (hé ! Je sais ce qu’elle cache en coulisse pour avoir animé moi aussi cette coulisse), ou d’un quelconque autre alibi, mais cela peut vous éviter quelques problèmes si jamais vous étiez découvert en train de fouler un sol qui ne vous est pas libre d’accès… quel que soit le niveau de prudence et de respect que vous aurez adoptés pour l’aborder : quoique le respect soit votre plus belle carte à jouer en cas de surprise main dans le sac ! Et je ne peux qu’admettre pour le constater moi-même chaque jour que le promeneur ne laisse pas toujours un espace nickel derrière lui… hélas !
Ce travail bibliographique effectué, cette méthode rejoint ici celle du premier point, à ceci près que cette préparation en amont et le niveau de précision de ces cartes peuvent être suffisants pour d’ors et déjà déterminer une position d’observation adéquate, sans même avoir jamais vu le terrain en question, ce qui est un avantage certain.
Ces deux méthodes se complètent l’une l’autre, mais je n’emploie finalement la seconde que lorsque je dois m’éloigner de mes repères habituels… sans toutefois bien évidemment m’interdire de sortir du ou des fils rouges que je me serais fixés. Et comme je pratique actuellement une photographie de proximité, sans voiture, où tout ce qui nourrit ce site et mes galeries (les chamois et les vues sur les Alpes exceptés) se trouve à distance de marche, parfois longues !, j’utilise exclusivement la première méthode, à savoir une zone connue et concentrique de prospection qui s’agrandit chaque jour ou presque par de nouvelles explorations. Mais parce que je souhaite bientôt réintégrer des phases de bivouacs à mes sorties natures, sans pour autant reprendre la voiture, la deuxième méthode aura également son rôle à jouer dans de futures approches que je partagerai avec vous, via cette rubrique « Carnets naturalistes », qui se veut moins centrée sur mes projets photographiques que ne l’est la rubrique « Carnet de bord », mais plus orientée vers la vie dans la nature, pour quelques heures, ou quelques jours, autour de disciplines comme le bushcraft, le pistage, la construction d’affûts en utilisant exclusivement des ressources présentes sur place, etc… tout ce qui finalement n’est pas à proprement parler de la photographie, mais fait partie intégrante de la photographie nature telle que je la pratique.
III. En guise de conclusion
Quelle que soit votre pratique et votre manière d’anticiper une sortie nature, je crois qu’il est important, en tout cas profitable, de partir avec une idée, même vague en tête, mais qu’il est tout aussi primordial la plupart du temps de ne pas s’entêter au point de laisser filer une observation tout aussi, si ce n’est plus, intéressante que celle, ou celles, qui avaient été envisagées. À chacun de se faire sa propre expérience et de trouver ce qui fonctionne pour lui, mais ne pas faire d’un fil rouge une prison de l’esprit, ou tout au moins, garder la clé à portée de mains, me semble raisonnable !
Phédrienne
Merci Hervé et pardon pour cette réponse orthgraphiée n’importe comment; Honte à moi ! Qui sortent et Quelle que soit …ouf, vais aller me terrer dans un trou …de lapin !
RvB
La pertinence du propos m’avait aveuglé… je n’avais rien vu, ou presque !
(voilà c’est corrigé ! Pas de quoi aller piquer le terrier d’un lapin !! 😉 )
Phédrienne
Pistes et démarches intéressantes à partager et qui sortent de certaines formes de diktats implicites véhiculés par les magazines de photo nature. Je suis plus mesurée en revanche sur le côté instinctif que certains ont de la nature, dont il me semble qu’il reste, quelle que soit la formation et les habitudes, très subjectivé. En avoir conscience permet me semble-t’il de ne pas se sentir dans une forme de toute puissance ou d’omnisciente et donc de conserver un nécessaire recul.
RvB
Je n’étais moi-même pas très convaincu par cette « connaissance quasiment instinctive ». D’ailleurs pour à peu près les mêmes raisons que toi. Je n’ai cependant pas su tourner ma formulation autrement sans m’éloigner de mon sujet. C’est aussi pour cette raison que je parle aussi d’acquisition, corollaire de ce qui repose sur un apprentissage, et donc, une forme plus ou moins consciente. Mais c’est pour le moins dilué, je comprends très bien la pertinence de cette modération, et te remercie pour ta relecture attentive !